BÉTHIO, LE PAGNE SOUS TOUTES SES COUTURES…

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Au Sénégal, le petit pagne ou encore pagne de nuit, communément appelé «Béthio» en Wolof, occupe une place importante dans l’arsenal de séduction féminine. Les adeptes de ce bout de pagne traditionnel chantent toujours les éloges de cette astuce d’antan. L’Obs a fait zoom sur son histoire et son évolution au fil des années.


Les cliquetis des perles résonnent et s’imposent malgré l’effervescence des lieux. Inutile de chercher longtemps pour voir d’où provient ce bruit. De loin, le bout de tissu pailleté, relié par une fine dentelle et de grosses perles de cristal, luit et reluit aux mains d’une dame. Elle exhibe un pagne de nuit rouge, le tourne et le retourne, l’enfile au tour de ses reins, balbutie quelques mots à l’égard de deux jeunes filles, apparemment des clientes. Puis, après quelques déhanchements, elle pivote sur elle-même pour vendre le charme du pagne troué de partout. Le bout de tissu scintillant semble même attirer les passants : clients, commerçants ou simples passants. Certains, visiblement séduits, s’arrêtent un moment, avant de passer leur chemin. Pendant ce temps, la vendeuse n’a de cesse de vanter les mérites de l’arsenal qui compose son échoppe dédiée aux astuces de séduction. «Aucun homme ne peut résister au charme de ce pagne. Moi Ndiaya, je peux mettre ma main à couper. Il suffit juste de le nouer systématiquement et le tour est joué. Le lendemain, il pensera à vous toute la journée», lance-t-elle un brin coquine, à l’égard de la jeune fille.

«Jamais démodés, ils font toujours tourner la tête des hommes qui en sont friands»

Elle poursuit son monologue, avec un discours voluptueux. Avec Ndiaya, il n’y a pas de filtres. Elle use de mots crus pour expliquer à la dame les secrets de la sexualité et les contours de la séduction féminine. Adossée à l’une des tables qui plantent le décor, la jeune fille, la vingtaine, ne réplique qu’avec des sourires embarrassés. Sa pudeur mise à rude épreuve, elle suit d’un air penaud la commerçante. Remarquant son air troublé, Ndiaya arque un sourcil et lance : «Il n’y a pas à être gênée. Tu as intérêt à maîtriser l’art de la séduction pour dompter ton mari. Une deuxième femme ne doit pas être nonchalante. Tu dois tout faire pour gagner les faveurs de ton mari et entrer dans ses bonnes grâces», déballe-t-elle, prenant à témoin la copine de la jeune fille, avec une aisance déconcertante.

«Todj kho…, Travaux forcés, Internet, Instagram, Keuyitou keur-gui, Tass sa cheveux, Do fi nélawé, Thiaw sa khiir, piment doux, Enfon… moi, entre 3 000 et 5 000 FCfa…»

Ici à ‘’Roukkou Dieg-dji’’, sis au marché HLM, à l’image de Ndiaya Mbaye, elles sont nombreuses à s’activer dans la vente de petits pagnes, communément appelé «Béthio» en wolof. Dans cette rue, les secrets de l’intimité conjugale sont dévoilés sans aucune réserve. Pas de sujets tabous, encore moins de place pour les coincés. Les tables en bois bancal, supportées par des parasols, font office de magasins, pour la plupart.

Sur cette allée, le langage est le même. Spécialisées dans la vente d’artifices réservés aux femmes, elles usent tous du langage érotique pour écouler leurs marchandises. Emmitouflée dans une robe en wax, un pull par-dessus, elle ne semble pas plus prêter attention à son tissage défait et négligé. Des tatouages sur sa peau dépigmentée font ressortir clairement ses veines. Ndiaya est dans le milieu depuis près de 10 ans et semble y trouver, tant bien que mal, son compte. Depuis des années, les vendeuses de «Béthio» sont concurrencées et surtout affaiblies par les Chinois qui vendent les nuisettes, plus modernes et sophistiquées aux yeux de certaines jeunes filles. Seulement pour Ndiaya, la comparaison n’est pas logique. Les petits pagnes ont leur particularité. Les hommes sont toujours friands de ce bout de tissu. «Les ‘’Béthios’’ ne seront jamais démodés. Ils font jusqu’à présent tourner la tête des hommes. Ils ont un pouvoir d’envoûtement et d’attraction, explique-t-elle.

Pour être en phase avec leurs époques, les artisans font tout le temps des innovations, en atteste sa large collection. «J’ai une large gamme de ‘’Béthios’’. Il y a les ‘’Travaux forcés’’, ‘’Internet’’, ‘’Instagram’’, ‘’Keuyitou keur-gui’’, ‘’Piment doux’’, ‘’Thiaw sa xiiir’’, ‘’Tass sa cheveux’’, ‘’Doofi nélawé’’, ‘’Enfon… moi’’ etc., sont les tendances en vogue.»

Des pagnes personnalisés, des images pornographiques esquissées dessus

«Contrairement aux nuisettes qui coûtent excessivement chères, nos ‘’Béthios’’ sont à des prix abordables et accessibles. Ça tourne autour de 3 000 à 5 000 FCfa», liste-t-elle avant de renchérir : «Nous avons aussi des pagnes où sont esquissées des images pornographiques. Parfois même, il est personnalisé sur demande de la cliente.»

Tout juste en face de Ndiaya, Mère Amina s’affaire à mettre de l’ordre dans sa marchandise. Drapée dans son grand boubou voile, des rides encombrent son visage. Son foulard noué négligemment laisse entrevoir ses cheveux grisonnants. Mais pour la vieille, l’heure n’est pas encore à la joie. La rareté des clients semble influer sur son humeur. A fond dans sa tâche, elle serre le visage pour ne pas être importunée. Mais dès qu’on parle de l’évolution historique du «Béthio», son regard se fait plus étincelant. Elle montre un sourire et se laisse transporter dans ses délires.

Origine du ‘’Béthio’’, de la nuit nuptiale à la naissance des enfants

Autrefois, dès qu’une jeune fille est donnée en mariage, ses aînés prenaient une partie de sa dot pour l’achat de deux pagnes appelés «Malikane». C’est ce pagne qui, au fil du temps, est devenu, le fameux «Béthio». Il témoignait de l’évolution de la jeune fille dans son foyer. «Lors de la nuit nuptiale, on l’enveloppe avec un des pagnes ‘’Malikane’’ pour la remettre à son mari. Après la consommation du mariage, ses parents se chargeront de le laver, ainsi que le drap tâché du sang de pureté de la jeune-mariée. Puis, on conseille à la jeune fille de la garder sous ses habits, loin des yeux indiscrets», soutient-elle nostalgique. Passée la première nuit, la jeune mariée doit garder soigneusement le pagne. Au-delà de ses premières fonctions, le «Malikane» doit être son premier allié. Il est l’objet vers qui, elle doit se tourner en cas de pépins dans son couple. Des disputes et des incompréhensions ne manqueront pas d’éclater souvent dans un ménage. A chaque fois que des problèmes surviennent, il était conseillé à la jeune femme de se lever au beau milieu de la nuit pour faire «2 rakkas» (prières). Pour effectuer la prière, la jeune fille doit porter les deux pagnes qu’on lui avait achetés avec l’argent de sa dot. Elle se drapera de la première et le second lui servira de voile. Après les 2 «rakkas», elle joindra les deux mains vers son Seigneur pour se confier à cœur ouvert. Elle implorera la clémence de l’Absolu afin qu’Il l’aide à surmonter les difficultés dans son ménage. «Cette prière nocturne, si elle est bien respectée, fera effet. Je parle en connaissance de cause. Elle est souvent suivie d’effets positifs. Autrefois, les femmes mariées n’osaient pas affronter les courroux de leurs belles-familles. Elles s’en remettaient toujours à Allah. Avec cette stratégie, elles s’en sortaient toujours», fait-elle savoir avec de la fierté dans la voix.

Dès qu’elle mettra au monde son premier bébé, elle devra l’envelopper avec ce pagne, histoire de lui porter bonheur. Au moment aussi de mettre son bébé au dos, elle le fera avec le même pagne.

Pouvoir d’attraction et d’envoûtement

Mais au fil du temps, poursuit toujours la vieille Amina, les femmes ont commencé à l’enfiler pour répondre à l’appel des tam-tams. Elles enveloppaient plusieurs pagnes pour ne pas laisser voir certaines parties de leurs corps et s’attirer les foudres de leurs maris. Les plus astucieuses, en esquivant des pas, soulevaient le pan de leurs pagnes aux rythmes des percussions. Par la suite, poursuit toujours Mère Amina, la rivalité est entrée en jeu. «A chaque rencontre, on s’attardait sur celle qui sait danser le mieux et qui avait le plus beau pagne. Les femmes ont ainsi commencé à retravailler leurs pagnes. A l’époque, la femme ne s’occupait que de son foyer. Elle passait son temps libre à tricoter les pagnes en y apportant sa touche personnelle.» Puis, les pagnes «Malikanes» perforés ont laissé place, au fil du temps, aux petits pagnes. Les femmes commençaient à démystifier certaines choses et à prendre un peu de liberté. Lors des séances de tam-tams, elles faisaient exprès de soulever leurs pagnes pour laisser entrevoir leurs «Béthios». «Mais, on s’est rendu compte qu’à chaque fois qu’une dame laissait découvrir son petit pagne, les griots et les batteurs de tam-tams étaient à sa poursuite. Ils ne se contrôlaient plus, ils étaient comme possédés», se remémore-t-elle dans un fou rire. Les petits pagnes devenaient de plus en plus prisés. Les plus habiles dans la couture ont commencé à en faire un business. Le «Malikane» a cédé la place à d’autres types de tissus beaucoup plus soyeux avec des couleurs plus tape-à-l’œil. Puis les femmes ont commencé à en faire une arme de séduction au sein de leurs chambres conjugales.

«Efficaces contre les hommes radins»

Les plus astucieuses ont commencé à introduire le petit pagne dans leur arsenal de séduction. Parfois, elle sert d’arme pour avoir quelques faveurs de son mari. «Il y a des hommes qui sont naturellement des têtes de mules. D’autres sont radins. Ces genres d’hommes, on ne peut pas les amadouer avec de simples bonnes paroles. Certaines situations se règlent la nuit, quand tout est calme. Après un bon bain, tu enfiles un joli ‘’Béthio’’ et tu portes des ceintures de perles autour des hanches. Il suffit juste d’effectuer quelques démarches en ondulant les hanches pour qu’il te donne même ses parents en cadeaux», laisse-t-elle entendre avec son sourire malicieux.

A l’aide des pagnes sexy qui cachent à peine les parties intimes, les hommes sont toujours soumis aux exigences de la Femme. Pour Mère Amina, lorsqu’on a des «Béthios» à suffisance dans son placard, on n’a nullement besoin de se rabattre sur les produits chimiques et cancérogènes pour dompter son homme. Si elle le dit !

PROFESSEUR MASSAMBA GUEYE : «La fonction du petit pagne n’est pas seulement esthétique, elle protège mystiquement la femme»

«Toute la base de la relation entre le corps et la femme repose sur la pudeur. Par pudeur et par précaution, la femme mariée se donne la liberté de ne montrer certaines parties de son corps qu’à son mari. Le pagne intérieur qu’on appelle le petit pagne, si on regarde même le nom, est en rapport avec des fonctions. Cette fonction esthétique du pagne n’est pas purement physique, mais elle a également une fonction de protection. C’est pourquoi, ce pagne intérieur est la première astuce pour la femme afin d’être protégée mystiquement, protéger ses enfants, protéger son corps et protéger aussi des environnements physiques. Si le pagne qui est par-dessus se défait, elle ne sera pas nue. Alors que si elle porte le pagne seul, sans ce petit pagne là en-dessous, une fois que le pagne est secoué par le vent, on voit l’entièreté de son corps et de son intérieur. Même dans son intimité avec son mari, il y a un espace de protection qu’elle s’offre.

Les jeunes, maintenant, ont tendance à tout moderniser. On lui assigne une autre fonction purement artistique dans le milieu de la danse. Les jeunes filles préfèrent un autre sous-vêtement venu de l’Occident. Alors que les sous-vêtements européens ont un aspect purement esthétique et n’ont pas cet aspect social. Donc, on perd cet aspect socialisant que le petit pagne avait tant sur le côté physique que sur le côté spirituel. Il va tuer tout un comportement social qui contribuait à l’éducation de la jeune fille…»

L’Observateur

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