Traquenards pour éliminer un adversaire politique de Senghor à Macky: Sonko va-t-il échapper l’échafaud ?

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C’est un secret de polichinelle. Une candidature de Ousmane Sonko en 2024 n’enchante pas l’actuel locataire du Palais et le régime en place fera tout pour que le leader de Pastef ne soit pas sur la ligne de départ après la validation des dossiers par le Conseil constitutionnel. Et il n’existe qu’un seul appareil accomplir ce vœu du président sortant: le pouvoir judiciaire. Ce ne serait pas une première au Sénégal qu’un président de la République use de son pouvoir pour pousser la justice pour barrer le chemin à son rival. Dans l’optique de se maintenir à la tête de l’Etat, les jeux de pouvoir cyniques et immondes ont fait légion au pays de la Téranga, de Senghor à Macky Sall.

Le passage en force de Senghor qui viole la Constitution pour arrêter Mamadou Dia

En 1962, alors que le Président du Conseil, Mamadou Dia, incarne le sommet de l’État dans un régime parlementaire bicéphale de type quatrième République (la politique économique et intérieure pour lui, la politique extérieure pour Senghor), ses relations avec le président de la République s’enveniment. Un différend sur la politique économique oppose les deux hommes à la tête de l’Etat sénégalais. Mamadou Dia milite pour une rupture avec la France et se met à dos un Senghor plus tourné vers l’ancienne colonie. Leur parti Etat, l’UPS (Union progressiste sénégalaise) est convoqué pour arbitrer au cours d’un Conseil national qui devait se tenir le 20 décembre 1962. Mais Dia y est plus puissant que Senghor et est si sûr de remporter les débats qu’il déclare: « Si je suis désavoué devant le parti le 20 décembre, je renoncerai à toutes mes fonctions ».

Sentant les carottes cuites, le Président Senghor encourage ses amis députés à déposer et à voter une motion de censure au niveau de l’Assemblée nationale pour destituer le Président du Conseil avant le Conseil du parti. Le 14 décembre 1962, alors qu’il n’en a pas les prérogatives, Senghor réquisitionne l’Armée en la personne du Capitaine Faustin Pereira et lui demande de se tenir prêt à marcher sur Dakar. En effet, à l’époque, seul Mamadou Dia, en tant que Chef du Gouvernement et ministre de la Défense, était habilité à réquisitionner l’Armée, selon l’Art. 24 de la Constitution d’alors. Il ne s’arrête pas là. En toute illégalité, Senghor nomme le Colonel Jean Alfred Diallo, chef d’État-major des Forces armées à la place du général Amadou Fall. Théoriquement, cela ne pouvait se faire qu’en Conseil des ministres, sur proposition du Chef du Gouvernement, Mamadou Dia, qui était également ministre de la Défense.

Le 17 décembre, Senghor mobilise la gendarmerie à l’Hémicycle pour faire voter de force la motion de censure. Mamadou Dia s’interpose et fait arrêter 4 députés. La motion est tout de même votée dans l’après-midi au domicile du Président de l’Assemblée nationale Lamine Gueye. Le Président du Conseil, Mamadou Dia est arrêté avec quatre autres ministres, Waldiodio Ndiaye (ministre des Finances), Ibrahima Sarr (ministre du Développement), Joseph Mbaye (ministre des Transports et Télécommunications) et Alioune Tall (ministre délégué à la Présidence du Conseil chargé de l’Information).

La justice joue le jeu de Senghor et envoie Mamadou Dia en prison

Senghor Dia

 Devant la Haute Cour de justice du Sénégal du 9 au 13 mai 1963, alors que le Procureur général ne requiert aucune peine précise et sollicite les circonstances atténuantes pour tous les accusés, Mamadou Dia est condamné à la prison à perpétuité. Waldiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr et Joseph Mbaye sont condamnés à 20 ans de prison. Alioune Tall quant à lui est condamné à cinq ans. Ils seront placés à l’isolement au centre spécial de détention de Kédougou (Sud-est du Sénégal.

Le procureur général de l’époque, Ousmane Camara, qui est revenu sur le déroulement du procès dans son autobiographie publiée en 2010 dira : « Je sais que cette haute cour de justice, par essence et par sa composition, (ndlr : on y retrouve des députés ayant voté la motion de censure), a déjà prononcé sa sentence, avant même l’ouverture du procès (…) La participation de magistrats que sont le Président (Ousmane Goundiam), le juge d’instruction (Abdoulaye Diop) et le procureur général ne sert qu’à couvrir du manteau de la légalité une exécution sommaire déjà programmée ».

Le 17 décembre 1992, soit 30 ans après les événements, le général Jean Alfred Diallo, nommé illégalement Chef d’État major par Senghor au moment des événements en remplacement du général Amadou Fall et homme clé de ces événements, déclara : « Mamadou Dia n’a jamais fait un coup d’État contre Senghor … l’histoire du coup d’État, c’est de la pure fabulation ». Un accord conclu entre les militaires stipulait que Jean Alfred Diallo ne devait pas prendre parti. Il rompra le pacte sous la pression des officiers militaires français (le colonel Leblanc notamment) afin qu’il prenne position pour Léopold Sédar Senghor.

Diouf et Wade n’ont jamais franchi la ligne rouge démocratique pour éliminer un adversaire politique

Diouf Wade

Sous le règne du Président Abdou Diouf, de 1981 à 2000, il n’a jamais empêché à son plus grand rival, Me Abdoulaye Wade, de participer à une élection de 1978 à 2000. Même si la relation entre les deux hommes étaient très conflictuelle. Après les élections présidentielles de 1988 et 1993, le leader de l’opposition a été arrêté puis relâché.

De son côté, le Président Abdoulaye Wade a poursuivi en justice son plus farouche opposant, Idrissa Seck, entre 2004 et 2006 dans l’affaire dite des chantiers de Thiès. Mais à l’élection présidentielle de 2007, il ne l’a pas empêché de présenter sa candidature. Entre 2008 et 2009, Abdoulaye Wade a menacé de poursuivre Macky Sall en justice. Ce dernier a même été convoqué à la Section de recherches pour être entendu. En 2012, le « Pape du Sopi » a laissé le maire de Fatick présenter sa candidature pour la Présidentielle et accéder à la Magistrature suprême au moyen d’un second tour.

Macky et le choix de ses adversaires

Depuis qu’il a été élu président de la République en mars 2012, Macky Sall ne veut pas entendre parler d’opposition. Quand en 2014, le socialiste Khalifa Sall est allé seul aux élections Locales, sous la bannière de Taxawou Dakar, et a gagné la ville de Dakar, le chef de l’APR s’est senti menacé. D’autant plus que le nouvel homme fort de Dakar d’alors confirme son score dans la capitale lors du Référendum de 2016 pendant lequel il a appelé les Sénégalais à voter Non.

La machine judiciaire est activée pour le liquider après un rapport de l’IGE sur sa gestion de la mairie en 2011 et 2015. Le 07 mars 2017, il est placé sous mandat de dépôt dans l’affaire dite de la Caisse d’avant de la mairie de Dakar.  Au terme d’un procès qui aura duré près de deux mois et demi, Khalifa Sall, alors député et maire de Dakar a été déclaré coupable, le 30 mars 2018, de plusieurs délits, dont escroquerie aux deniers publics, faux et usage de faux dans des documents administratifs et de complicité en faux en écriture de commerce. Il est condamné à 5 ans de prison ferme à moins d’un an de l’élection présidentielle de février 2019.

Le 14 janvier 2019, les 5 « Sages » du Conseil constitutionnel publient une liste de 5 candidats pour la Présidentielle dont sont exclus Khalifa Sall et Karim Wade qui représentait le PDS.

Ousmane Sonko, un grain sable qui fait rouiller la machine judiciaire ?

Après avoir obtenu 15% à l’élection présidentielle, Ousmane Sonko a vu sa cote de popularité grimper de 2019 à 2021, grâce à ses sorties intempestives et critiques contre le régime de Macky Sall. Ses révélations sur l’implication du frère cadet du président de la République dans un deal scandaleux sur les contrats pétroliers, confirmées, document à l’appui par un documentaire de la BBC, viennent porter un sérieux coup à l’image du régime en place. Le Sénégal est secoué pendant plusieurs semaines à cause de cette sombre affaire qui implique Aliou Sall et l’homme d’affaires Frank Timis.

Ousmane Sonko multiplie ses sorties contre Macky Sall et ses hommes. Il soulève des dossiers compromettants contre des pontes du régime et fait de nouvelles révélations. Sa popularité s’accroît de manière exponentielle. En février 2021, une plainte pour viol est déposée contre lui à la Section de Recherches de la Gendarmerie de Colobane par une dénommée Adji Sarr, alors masseuse au salon Sweet Beauté. L’affaire s’emballe. Ousmane Sonko est convoqué à la gendarmerie pour être entendu. Il convoque son immunité parlementaire, parle de complot et appelle tous ses militants et sympathisants à faire face au régime de Macky Sall qui veut le liquider comme il a fait avec Khalifa Sall et Karim Wade.

Sonko tend main

Son appel est suivi à la lettre. Le 08 février 2021, alors que la police se pointe chez lui à la Cité Ker Gorgui pour le cueillir, ses militants s’interposent. De violents affrontements s’en suivent ainsi que dans plusieurs quartiers de Dakar. Les éléments de la Brigade d’Intervention Polyvalente sont sollicités. Ils se pointent et échangent pendant plusieurs heures des tirs devant le domicile de Sonko. Ce dernier et ses nombreux soutiennent tiennent la pression. Le régime revoit sa stratégie et décide de lever l’immunité parlementaire du député.

Le 03 mars 2021, Ousmane Sonko décide d’aller répondre à la convocation du Doyen des juges d’instruction, Samba Sall, qui avait envoyé Khalifa Sall à l’échafaud. Mais les milliers de personnes qui accompagnent son cortège posent problème aux forces de l’ordre qui veulent lui faire changer d’itinéraire. Chose qu’il refuse catégoriquement. Le préfet de Dakar est appelé à la rescousse, après plusieurs minutes de conciliabules, Sonko est arrêté dans son véhicule pour trouble à l’ordre public et conduit par la gendarmerie à la Section de recherches.

Le pays s’embrase. Dans plusieurs régions, des affrontements éclatent. Les Forces de défense et de sécurité sont dépassées par la furie des populations qui cassent tout sur leur passage. Les magasins Auchan sont dévalisés. En 3 jours, 14 morts sont comptés et des centaines de blessés. Le régime recule et décide de libérer Ousmane Sonko. Il est placé sous contrôle judiciaire. Mais gagne inexorablement le statut de chef incontesté de l’opposition sénégalaise.

Sa cote de popularité titille les sommets. Le régime, qui a fouillé dans toute sa carrière d’Inspecteur des Impôts et Domaines sans rien trouver d’encombrant, ne lâche pas le dossier Adji Sarr, qui semble être le seul moyen pour Macky et ses hommes de lui barrer le chemin pour 2024.

Après le décès de l’ancien Doyen des juges, Samba Sall, un nouveau magistrat, Maham Diallo, est nommé au poste. Il décide de réouvrir le dossier. Il procède à l’audition de toutes les personnes impliquées dans l’affaire. De la plaignante à Ousmane Sonko. Ce dernier est convoqué devant le DJI le jeudi 03 novembre. Alors que tout le pays retient son souffle et s’attend à ce que les événements de mars resurgissent, le leader de Pastef appelle au calme et rassure ses partisans. Dans une atmosphère très tendue où Dakar est quadrillé par les forces de l’ordre, Sonko se rend avec ses avocats au Palais de justice pour être entendu sur le fond du dossier. Après trois heures d’audition durant laquelle 5 éléments de sa garde rapprochée sont cueillis par le GIGN, il ressort du tribunal et rentre chez lui. Il révèle avoir déposé sur la table du Doyen des juges une enquête interne détaillant tout le complot qui a été monté contre sa personne. Il annonce une plainte dès lundi contre l’ancien procureur de la République, Serigne Bassirou Gueye et d’autres personnalités qui seraient impliquées dans le « complot ».

Reste à savoir si cette affaire de viol présumé sera classée sans suite ou instruite en procès. A un peu plus d’un an de la Présidentielle de 2024, Ousmane Sonko a déclaré que rien ni personne ne pourra l’empêcher d’être candidat.

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