Général, ça fait bientôt 2 ans que vous êtes arrivés au Sénégal. Quelle appréciation avez-vous du pays ?
Après bientôt deux (2) ans de présence ici, avec l’ensemble de la sous-région, puisque j’ai la chance de pouvoir me déplacer dans beaucoup de ces capitales africaines pour rencontrer les chefs d’Etat Major de ces armées, je considère que le Sénégal dispose d’un très haut potentiel dans le domaine militaire sur lequel je peux avoir un avis, dans le domaine économique bien évidemment, et en d’autres termes dans le domaine régalien, le Sénégal dispose d’atouts qui sont majeurs. C’est pour cela que le Sénégal est une tête de troupe pour l’Afrique de l’Ouest. C’est un hub avec beaucoup de passages, d’échanges avec énormément de pays quels qu’ils soient. Le Sénégal dispose de tous les atouts régaliens, en particulier avec cette présence de l’Etat sur l’ensemble du pays pour faire face aux risques d’une expansion de la menace terroriste qui pourrait venir frotter le long de ses frontières.
À ce jour, comment se porte la coopération militaire entre le Sénégal et la France ?
Les éléments français au Sénégal, c’est un pôle de coopération à vocation régionale. Nous conduisons des actions de partenariat avec toutes les forces armées africaine qui en expriment le souhait au profit de tous les pays de la CEDEAO, plus la Mauritanie. Nous faisons que répondre à des demandes de ces pays, de ces forces armées. Ça se traduit par des entraînements conjoints et des exercices conjoints de façon à mécaniser un certain nombre de savoir faire. Consolider et accroître des capacités opérationnelles. Nous agissons notamment dans les trois milieux : terre, air, mer au profit des Forces Armées, de gendarmerie, mais sur le savoir faire militaire.
Nous sommes environ 500 militaires français auxquels nous pouvons ajouter 180 personnels civils sénégalais qui sont employés au sein des Éléments Français au Sénégal (EFS). Un tiers d’entre eux sont des personnels de catégorie A qui travaillent dans le domaine administratif. Les autres travaillent dans les domaines de soutien variés : la restauration, le transport, le soutien logistique, etc.
Nous déployons en permanence sur un certain nombre de CPI de tout petits détachements de militaires pour réaliser ces formations de manière conjoint avec nos camarades africains à leur demande selon leur agenda. 30 % et parfois plus selon les années de notre action de partenariat se fait avec les Forces armées sénégalaises. Cela se traduit par des actions de partenariat dans le domaine terrestre avec la lutte contre les engins explosifs, les mines artisanales, aussi dans le domaine du guidage aérien de façons à pouvoir dialoguer avec les aéronefs qui sont africain ou occidentaux, pour les guider sur des objectifs adverses pour pouvoir réaliser des frappes. Nous travaillons beaucoup aussi dans les échanges de bonnes pratiques sur le secourisme au combat. C’est quelque chose d’essentiel pour les armées qui sont envoyées en opération. Nous agissons aussi dans les domaines comme la mise à terre parachute.
Dans le domaine maritime, nous avons un partenariat très étroit avec la marine sénégalaise dans ce que nous appelons le contre-terrorisme maritime. Donc nous agissons en segments très pointus issus des forces spéciales. Et là, nous échangeons les bonnes pratiques. Ce que nous appelons le retour d’expériences. En comparant le matériel, les procédures, les entraînements conjoints, indispensables à toute unité qu’elle soit conventionnelle ou des Forces Spéciales de manière à se maintenir à un certain niveau de savoir faire et parfois arriver à progresser. Parce qu’on se frotte à d’autres armées étrangères.
Un exercice inter-armée dénommée Xarito
Dans le domaine aérien, nous travaillons au profit des forces de l’armée de l’air sénégalaise. Nous n’avons pas de compétences pour former des pilotes, des mécaniciens dans le domaine de la maintenance. Parce que ça, c’est très spécialisé. Mais nous agissons dans les domaines relatifs à la protection des bases aériennes. Et nous disposons ici au Sénégal d’un avion de patrouille maritime français, un FALCON 50, stationné en permanence sur Dakar, et qui est en pleine coopération avec l’Etat sénégalais dans le domaine de la lutte contre la pêche illégale, dans le domaine du sauvetage en mer. C’est-à-dire la localisation de bateau en détresse en mer. C’est également un avion qui contribue dans le cadre d’un dispositif international aux opérations de lutte contre le trafic de drogue. Qui a permis grâce à cette collaboration internationale la Marine sénégalaise d’obtenir de très bons résultats au cours de ces derniers mois avec la saisine d’une quantité importante de drogue.
15 à 25 milliards injectés dans l’économie sénégalaise
Le dernier exemple à illustrer de ce que nous réalisons avec l’Armée sénégalaise, c’est la réalisation d’un exercice interarmées que nous appelons « Xarito » amitié en wolof. Nous espérons pouvoir refaire cet exercice dans quelques mois. Je précise également dans le cadre de notre partenariat avec les forces armées sénégalaises, nous avons ici au sein de notre Etat Major des EFS, un officier supérieur Sénégalais qui y est installé de manière permanente. Ce qui illustre l’étroitesse de notre coopération de longue date. Nous avons proposé également à l’Etat Major Général des Armées Sénégalaises d’insérer un Officier Supérieur au sein de l’Etat Major des Armées à Paris. Ce qui j’espère va pouvoir se faire d’ici quelques mois. Cela illustre notre partenariat extrêmement étroit et ambitieux. Je voudrais rappeler que cette petite communauté des éléments français au Sénégal est pleinement intégrée à la population sénégalaise. J’ai évoqué 180 personnels sénégalais qui sont employés ici au sein des EFS. La grande majorité de nos personnelles vies ici en famille. Enfin, nous avons un impact sur le tissu économique Sénégalais qui n’est pas neutre. Puisque nous faisons appel en permanence aux multitudes d’entreprises sénégalaises dont nous apprécions beaucoup les compétences sur les contrats d’entretien, de rénovation, des chantiers de rénovation (construction de villa pour les familles), etc. Donc ça représente de 15 à 25 milliards de F CFA par an, injectés dans le tissu économique sénégalais.
Aujourd’hui, l’un des principaux problèmes dans le monde, c’est l’insécurité lié au terrorisme. D’abord, quelle définition donnerez-vous au terrorisme ?
Je pense que le terrorisme peut prendre des formes diverses. De très nombreux pays au monde ont été touchés soit par le terrorisme politique, soit par celui religieux, ou celui lié à revendication indépendantiste. Les voix du terrorisme sont très variées. Mais dans son mode d’action, le terrorisme est une forme de contestation de l’autorité de l’Etat par la voix des armes et en répandant la violence de manière aveugle. Et les populations sont pour la plupart du temps les premières victimes de cette violence. Les pays du Sahel, le Mali, le Niger, le Burkina Faso sont aujourd’hui confrontés aux menaces de terrorisme depuis un certain nombre d’années.
Jusque-là, le Sénégal est épargné par des attentats et autres attaques. Sauriez-vous nous dire pourquoi ?
Il y a plusieurs raisons à cela. Le terrorisme sahélien a toujours pour centre de gravité le Mali, le Nord du Burkina Faso. Et ce que nous appelons la région du Liptako qui est à cheval sur ces trois frontières. Le terrorisme a un certain nombre de limites en termes de capacité d’expansion, lié à ses savoir-faire, sa structuration, ses effectifs, ses ambitions. Donc aujourd’hui, le terrorisme sahélien n’a pas encore les moyens et la volonté d’aller plus loin à l’Ouest et de se rapprocher des frontières du Sénégal. Je pense que le Sénégal dispose d’atout majeur pour faire face à cette menace liée à la structuration et au potentiel opérationnel de ses forces de défense et de sécurité.
En fait le terrorisme évolue aisément là où l’Etat n’est pas présent, ou qu’il est faible. Partout où l’Etat est présent, ou qu’il répond aux besoins des populations en matière d’accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’éducation, la justice avec une présence d’autorités (gouverneur, préfet, maire) le terrorisme a beaucoup plus de mal à s’implanter. Parce que tout simplement, l’Etat est présent, il est fort, répond aux populations. Et le terrorisme qui a besoin de s’appuyer la plupart du temps par la force vers les populations, a beaucoup plus de mal à s’implanter dès lors que l’Etat est fort.
Le Mali vient de mettre fin à sa coopération militaire avec la France. Les autorités de la transition ont mis en avant le manque de résultats au vu de la progression des djihadistes du nord au centre jusqu’à Bamako. Que répondez-vous ?
D’abord, il faut rappeler que le départ de la force Barkhane et la force Takuba, attachée à la force Barkhane, est une décision politique qui s’est décidé, qui était prise en étroite collaboration avec l’ensemble des partenaires africaines et occidentaux (Européen et Nord Américain). Parce que, les conditions à la fois politique et juridique qui sont nécessaires à la bonne exécution de mission militaire n’étaient plus réunies. Parce que la junte malienne avait fait le choix dans certains nombres d’entraves pour la bonne réalisation de ses missions. Les forces ne sont plus capables de faire voler les aéronefs au titre de soutien logistique ou d’appui aux forces qui sont confrontées à l’adversaire. Les choses sont plus compliquées. L’efficacité se réduit et la sécurité est mise en jeu pour les soldats qui sont engagés.
« La force Barkhane n’a jamais eu pour vocation d’éradiquer seule le terrorisme… Il n’y aura jamais de victoire militaire contre le terrorisme »
La force Barkhane et la force Takuba sont en cours de retrait. Cela va prendre encore un certain nombre de mois puisque c’est une opération logistique qui est majeure. La deuxième chose qui est bonne de rappeler est que la force Barkhane n’a jamais eu vocation à éradiquer seul le terrorisme. Et qu’aucun pays n’est capable de faire face à une menace de ce type-là. Ça nécessite une sorte de coalition internationale. Ce qui est le cas au Mali avec la présence des forces armées nationales, la présence d’une opération de maintien de la paix majeure, la MINUSMA qui représente plus de 11 mille hommes déployés sur le sol malien et qui permet de sécuriser beaucoup de zones, et la force Barkhane qui intègre un certain nombre de contingents européen pour faire face à la menace terroriste.
Est-ce qu’on peut parler d’une insuffisance de résultat ? Je dirais non. La force Barkhane a obtenu de très nombreux succès tactiques. Qui se sont traduits par la mise zone de combat de plusieurs centaines de terroristes qui depuis 9 ans que les opérations sont conduits sur le sol malien. On réussi à neutraliser plusieurs chaînes de terroristes. Il n’y aura jamais de victoire militaire face au terrorisme. Il n’y a qu’une solution, c’est le principe de l’approche global qui intègre l’action militaire, mais qui est un volet de lutte contre le terrorisme.
Quel bilan faites-vous des différentes opérations françaises au Mali ?
D’abord, parce que la Force Barkhane et les Forces Françaises ne sont pas seules et n’ont pas vocations toutes seules, à pouvoir faire face à une menace terroriste qui touche l’ensemble du Mali, les ¾ du Burkina Faso et une bonne partie du Niger. Donc, ce n’est pas à la portée de la seule force Barkhane, en étroite concertation avec les autorités maliennes, nigériennes, et essentiellement, le choix a été fait de conduire un effort en terme d’opération dans la zone du Liptako-Gourma (située à cheval sur les frontières communes du Burkina, du Mali et du Niger). Ce qui ne couvre pas bien évidemment, l’ensemble du Mali. Parce que ce n’est pas avec quelques milliers d’hommes que vous pouvez contrôler l’ensemble de ce territoire, en tout cas, pas avec des forces étrangères qui sont déployées sur demande des pays africains concernés.
Pourquoi le terrorisme a gagné du terrain malgré la présence française censée éradiquer le phénomène ?
Il y a beaucoup de ce que nous appelons des espaces lacunaires, c’est-à-dire, des endroits qui ne sont pas contrôlés par les forces régaliennes, les forces africaines, mais également par les forces internationales qui sont là pour les aider, les appuyer. Et donc, ce terrorisme, qui se caractérise par une forme de clandestinité, évolue et se répand dans tous les endroits où les forces souveraines et les forces étrangères ne sont pas présentes. Alors, il est très difficile de localiser et d’identifier des terroristes qui peuvent évoluer comme tout bon civil, comme des bergers, comme des marchands en cachant leurs armes et qui propagent leurs méfaits en se regroupant très rapidement et de manière très discrète sur un point particulier pour conduire une attaque et se disloquer dans la foule. Nous ne sommes pas face à des armées classiques, conventionnelles, visibles et contre lesquelles nous pourrions collectivement conduire des actions que je qualifierais de classiques. C’est toute la difficulté de l’asymétrie de la conduite d’action de lutte contre le terrorisme face à un adversaire qui est dans une forme de clandestinité.
Qu’est-ce qui rend si difficile la lutte contre le terrorisme ?
Je pense que d’abord, c’est un phénomène qui est lié aux réseaux sociaux, et à tout ce qui se propage sur les réseaux sociaux. Ici, au Sénégal, mais également dans la plupart des pays de la sous-région, nous ne sommes jamais, nous français, que nous soyons militaires ou civils confrontés à des phénomènes d’animosité ou de violence à notre égard. Il est toujours frappant de voir que nous évoluons dans le plus grand sentiment de sécurité, en particulier ici au Sénégal et avec des relations qui sont extrêmement chaleureuses avec nos camarades africains et c’est valable dans la quasi-totalité de ces pays.
Il y a ce qu’on appelle le sentiment anti-français en Afrique, vous en pensez quoi ?
C’est un phénomène de réseaux sociaux, je pense que ça exprime une grande souffrance de la part de beaucoup de ces populations qui sont confrontés à un phénomène d’insécurité, qui sont confrontés aussi, à des difficultés dans leur vie quotidienne, à des difficultés économiques à une crise liée à la pandémie du Civid-19 qui a exacerbé l’ensemble de ces difficultés. Et lorsque ces populations souffrent, eh bien, elles cherchent une forme de bouc émissaire. Donc, il y a sur ces réseaux sociaux des leaders populistes qui s’expriment, il y a également des faiseurs d’opinion, qui parfois sont très toxiques et qui peuvent propager une forme de détestation de la France et créer des effets d’entraînement.
Pour autant ce ne sont pas forcément des discours et des narratifs qui sont très structurés qui sont documentés pour voir apparaître énormément de fausses informations. Donc, je pense que ce sentiment anti-français, en fait, il est très fragile, il a un côté irrationnel et il ne traduit pas la réalité de notre relation que je qualifierais de physique lorsque nous évoluons au sein des populations africaines.
Donc, il y a une forme de paradoxe entre ce que nous voyons sur les réseaux sociaux, ce que nous entendons, et ce que nous voyons dans la rue, que ce soit ici, à Dakar, à Niamey, à Ouagadougou, n’importe où, dans les provinces.