Actuellement magistrat à la retraite, le procureur Alioune Ndao semble trouver le bon moment pour s’épancher sur les évènements qui ont marqué son passage à la cour de répression de l’enrichissement illicite où il a hérité de grands dossiers. Celui de Karim Wade en fait partie, de même que celui d’Ino-Alex.
Dans cet entretien avec Les Echos, l’ancien procureur Alioune Ndao déballe. Il rappelle les contours de ce dossier qui « reste une patate chaude » entre ses mains. Dans cette traque des biens mal acquis, la poursuite des personnalités ciblées, les «8 milliards» de biens supposés appartenir à Macky Sall, «7 milliards» de Taïwan révélés par Idrissa Seck, arrêt des poursuites contre Abdoulaye Baldé… L’ancien tailleur devenu maçon, militaire, policier, avant d’embrasser la carrière de magistrat évoque dans cet entretien, son vécu.
Dans ce dossier, le magistrat à la retraite s’est dit soutenu par son cursus d’ancien militaire, de gendarme, de policier mais surtout, par sa carrière au parquet. « Je suis donc habitué à faire face à de grosses affaires. C’est toute cette expérience qui m’a permis de bien gérer ce dossier extrêmement difficile, avec toute la pression qu’il y avait. J’avais en face des personnes qui connaissaient bien les rouages de l’administration, qui avaient des moyens extrêmement puissants, en terme d’argent et aussi en terme mystique » révèle-t-il insistant sur le facteur de l’argent et le mystique, qui sont intervenus dans ce dossier installant de grosses pressions venues de toutes parts.
La nomination de Me Sidiki Kaba coïncidant avec les problèmes…
Selon l’ancien procureur près la cour de répression de l’enrichissement illicite, c’est avec la nomination de Aminata Touré comme Premier ministre que les problèmes ont commencé. « Nous, l’impression que nous avons eue avec la nomination de Sidiki Kaba, c’est qu’il a été nommé afin de mettre fin à la traque. C’est la perception que nous avions, pas de manière officielle, mais officieuse. Et d’ailleurs, j’ai interpellé Monsieur le Président de la République un jour lors d’une audience. Je lui ai dit : ‘’Monsieur le Président, pourquoi vous avez nommé monsieur Sidiki Kaba alors qu’il était dans le dossier Karim Wade ? Il m’a répondu qu’il ne le savait pas’’. Je ne l’ai pas cru », confie le magistrat qui précise qu’il a bien eu des difficultés avec le ministre Kaba. « On était à couteaux tirés et même avec le Président de la République lui-même. Le Président m’a appelé un soir, lorsque l’affaire Karim Wade a été pliée, et c’est là où il y a eu une grave injustice à l’encontre de Karim Wade. Lorsque cette affaire a été pliée, j’ai senti des réticences de la part du pouvoir exécutif pour la poursuite des autres dossiers », révèle encore Alioune Ndao qui ira même plus loin dans ces arguments en évoquant les cas Tahibou Ndiaye, Aïda Diongue et même Abdoulaye Baldé, l’actuel directeur général de l’agence pour la promotion des investissements et grands travaux (APIX). « On a commencé par l’affaire Tahibou Ndiaye. Le Président m’a appelé jusqu’au palais, heureusement que j’ai eu l’intelligence d’emmener Antoine Diome avec moi, donc il est témoin de ce que je dis, en ce moment- il m’a dit : ‘’il paraît que Tahibou ne jouit pas de ses facultés mentales’’ ; je lui dis : ‘’mais non Monsieur le Président, il est plus sain d’esprit que vous’’. Il m’a dit : ‘’est-ce qu’il n’y a pas possibilité… ?’’ Je lui dis : ‘’non Monsieur le Président, force doit rester à la loi’’. Ensuite la seconde fois, c’était l’affaire Abdoulaye Baldé. Là également, il m’a appelé au palais pour me dire : ‘’laisse Abdoulaye Baldé’’. Je dis : ‘’non, je ne vais pas le laisser, Monsieur le Président ! J’ai déjà fait l’enquête et je vais terminer ma procédure’’. Et un autre élément s’est ajouté à cela, c’est que dans l’affaire Aïda Ndiongue, j’avais vu que la dame avait fait sortir du territoire national deux fois quatre milliards, qui avaient été versés dans deux emprunts obligataires, en Côte d’Ivoire, donc cela faisait huit milliards. Je voulais savoir si les autres n’avaient pas fait la même chose. Et j’avais demandé à l’équipe d’enquêteurs de la police dirigée par l’ancien patron Bocar Yague de mener des investigations dans les quatre plus grandes banques de ce pays : la Bicis, Cbao, Sgbs, j’ai oublié la quatrième » signale l’ancien procureur.
Des désaccords avec le président au limogeage…
Dans cette phase de traque, l’ancien procureur a soutenu même avoir défié le président de la République. « Dans ces colonnes de l’entretien, Alioune Ndao affirme avoir été appelé par le président qui lui a dit : ‘’Monsieur le Procureur spécial, on me dit que vous êtes en train de créer la zizanie’’ ? Il a répondu : ‘’non Monsieur le Président, ce n’est pas la zizanie’’. Macky Sall de lui demander après les enquêtes, de lui donner les résultats pour qu’il puisse les tenir sur le plan politique’’. « Je me suis dit : ‘’mais pour qui il me prend ce monsieur, il oublie qu’il parle à un procureur ?’’ Je n’ai pas fait ça. Et donc lorsque j’ai eu des résultats, j’ai immédiatement ouvert des enquêtes concernant ces personnes-là », avance encore le magistrat à la retraite qui dit même être allé plus loin dans cette affaire en impliquant d’autres membres de l’actuel régime.
«J’avais commencé à investiguer sur le patrimoine du président Macky Sall. Il a déclaré 8 milliards de francs. Je me suis dit comment en 7 ans de présence dans les plus hautes sphères de ce pays, il peut se retrouver avec 8 milliards ?’’ Ensuite j’ai commencé à investiguer sur les 7 milliards de Taïwan que Monsieur Idrissa Seck dénonçait régulièrement lorsqu’il était dans l’opposition. Je voulais savoir d’où venait l’argent et comment cet argent a été utilisé ? Et j’ai eu des traçabilités. Donc, l’un dans l’autre, j’étais une personne indésirée », dira l’ancien procureur qui, droit dans ses bottes estime que « la loi sur l’enrichissement illicite s’applique à tout le monde, y compris le président de la République. L’enrichissement illicite s’applique à ceux qui ont un mandat public », considère l’ancien du parquet. Une position qui lui a, plus tard, coûté son poste de procureur près la CREI.