Du rêve de l’eldorado européen aux bastions de Boko Haram : Latyr Niang, le récit d’un désabusé…

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Il risquait la prison à vie. Il a finalement pris cinq ans de travaux forcés. Une peine qu’il ne purgera pas totalement. Latyr Niang a bénéficié d’une liberté conditionnelle en mars 2020 au bout de quatre ans d’emprisonnement. Une faveur pour laquelle l’ancien prisonnier ne s’emballe pas. « Je ne devais même pas être emprisonné », confie-t-il à Dakaractu, près de deux ans après avoir recouvré la liberté.

Originaire de Rosso, une commune frontalière entre le Sénégal et la Mauritanie, Latyr Niang a été arrêté en 2015 pour des faits liés au terrorisme. Commerçant et agriculteur, il a été perdu par un voyage effectué en 2014 au Nigeria dans les bastions du groupe terroriste Boko Haram.

Du rêve européen au nord-est du Nigeria

Devant la Chambre criminelle siégeant en formation spéciale au tribunal de Dakar, il nie qu’un tel projet a germé dans son esprit. Le quadragénaire le réaffirme dans l’entretien exclusif qu’il a accordé à Dakaractu. « Je n’ai jamais prévu d’aller au Nigeria. C’est un concours de circonstances qui a fait que je me suis retrouvé dans ce pays », rétablit-il, dans un débit lent. Son rêve à lui, c’était d’aller en Europe et il comptait sur un homme, Aboubacry Guèye, pour le réaliser.

« C’est un ami de longue date avec qui j’entretenais d’excellentes relations. Il voyageait beaucoup et tirait son épingle du jeu économiquement parlant. Il m’a dit qu’il pouvait m’aider à partir dans les pays arabes, mais moi, mon objectif, c’était l’Europe, précisément l’Allemagne. Au fur et à mesure qu’on discutait, il a fini par me convaincre », rembobine-t-il.

Sa décision prise, Latyr Niang a pris le départ à Kaolack. Le bus dans lequel il est monté est parti de Dakar avec à son bord son ami Aboubacry Guèye.

« Il voyageait avec un autre sénégalais du nom de Moustapha. J’y ai aussi trouvé beaucoup d’autres sénégalais et quelques gambiens dans le bus. Ce qui a eu le don de me rassurer encore que la majorité était en partance pour l’Europe », se souvient l’ex migrant. Il ignorait en ce moment que leurs chemins se séparaient au Niger.

Lorsqu’ils sont arrivés dans ce pays, lui et Aboubacry Guèye ont été récupérés par deux motos pour une autre destination qu’il « ignore ». Encore. « On a traversé un cours d’eau alors que j’avais toujours en tête que je me rendais en Europe », se remémore Latyr Niang. Ce rêve, il va l’enterrer puisque d’Allemagne qui occupait ses pensées, le ressortissant de Rosso se retrouve en terre nigériane, à Abadam, une ville frontalière entre le Niger et le Nigeria. Dans cette localité qu’il n’a jamais connue de son existence, son quotidien est fait d’une monotonie insipide dans une maison dont il ne sortait que très rarement. Ce, jusqu’à ce qu’ils mettent à nouveau les voiles pour une autre ville. Deux 4×4 sont venus les chercher, lui et son ami et guide Aboubacry Guèye. Quelques heures après, ils sont arrivés à Gwoza, à 349 kilomètres d’Abadam. Sans rien savoir de ce qu’il faisait là, il bénéficie d’un traitement royal dans un immeuble « très beau ».

Malgré cet accueil chaleureux, le sénégalais se sent à l’étroit. Il est d’autant plus agacé qu’il assiste à des scènes invraisemblables. « L’une des rares fois où je suis sorti, j’ai vu un homme sur le point d’être fouetté. Je m’en suis ouvert à Aboubacry Guèye qui est aussitôt intervenu pour que l’homme soit relâché par ses bourreaux. Il n’était pas question que je cautionne ce genre de choses », se justifie Latyr Niang. Il prend la résolution de rebrousser chemin. Mais c’est sans compter sur la détermination de ses hôtes de le retenir dans cette ville que Boko Haram venait fraîchement de conquérir.

Dès août 2014, Gwoza rebaptisé « Fathul Mubin » (la grande victoire) tombe entre les mains du groupe terroriste en pleine expansion dans le nord-est du Nigeria, sous la houlette d’Abubacar Shekau. Mais ça, Latyr Niang ne le savait pas encore. C’est du moins ce qu’il soutient. Tout a été tenté pour le persuader de rester quitte à lui montrer certains de leurs secrets comme par exemple, une pièce où était cachée « beaucoup d’argent ». « Aboubacry Guèye s’y est mis lui aussi en me faisant croire que bientôt je serai rejoint par d’autres sénégalais qui seraient déjà en route pour le Nigeria. Ils m’ont même proposé de rencontrer « Imam » dont j’ai réalisé une fois au Sénégal qu’il s’agissait de Shekau, grâce à mes recherches. Mais l’heure de rentrer avait sonné pour moi », se cramponne-t-il.

D’avril à juillet 2018, les débats ayant meublé le procès pour terrorisme d’une trentaine de personnes ont levé un coin du voile sur la mission qu’Aboubacry Guèye dit Abou Hamza semblait mener pour Boko Haram. Maître coranique à Rosso, il s’est servi de son influence pour embrigader des esprits faibles. Le parcours exposé à travers ce récit montre que même s’il fallait piéger ses pigeons pour parvenir à ses fins, il n’hésiterait pas. Un guet-apens duquel Latyr Niang fera des pieds et des mains pour s’en défaire.

La fuite d’un désabusé

Le plan de Latyr Niang consistait à profiter de l’absence du chef-cuisinier de son site d’accueil pour s’évaporer. Quand l’occasion s’est présentée, il n’a pas réfléchi. Qui plus est, la chance lui sourit car ce jour, des camerounais se rendaient dans un marché non loin de Diffa, au Niger. « Je leur ai fait croire que je m’y rendais aussi. Ils m’ont dit de monter à bord de leur voiture », ruse le « fugitif » qui devait faire montre d’ingéniosité pour semer ses accompagnants. Ces derniers ignorants tout de son plan, n’ont rien vu venir lorsqu’il les a semés au Niger.

« J’avais repéré une antenne lors de l’aller et je ne l’ai plus lâché jusqu’à ce que j’atteigne à nouveau un cours d’eau. En bon habitant de Rosso, je l’ai traversé à la nage. Arrivé à l’autre rive, j’ai changé mes habits trempés et j’ai pris une moto pour Diffa. Comme j’avais gardé de l’argent par devers moi, j’ai pu continuer sur Niamey », raconte le miraculé.

À Niamey, Latyr Niang affirme avoir tenté de se refaire de l’argent pour poursuivre sa route…européenne. Un mois plus tard, il réalise que c’est une cause perdue. Le « désabusé » se résigne et décide de rentrer au Sénégal auprès des siens. Sauf qu’il ne retrouvera pas la quiétude espérée. Il va s’en rendre compte une année après son retour.

De la filature des renseignements généraux…

Déjà suivi par les services de renseignements généraux, Latyr Niang recevait des visites pour le moins invraisemblables jusqu’au jour où tout bascule. « Je me trouvais dans ma boutique. Un homme est venu pour soi-disant acheter des articles pour enfants que je n’avais pas. Bizarrement, il a accepté de prendre des habits pour adulte. On a un peu discuté et il en a profité pour me demander une faveur : ma photo. Sans arrière-pensée, j’ai accédé à sa demande. Sur ces faits, il est parti pour revenir vers 14 heures. Cette fois-ci, c’était pour que je lui indique la mosquée. Mais je le retrouve dans une autre que je fréquentais. Il est passé me prendre pour la prière du crépuscule (Timis) au terme de laquelle nous avons fait un crochet chez moi pour qu’il étanche sa soif. Quelques heures après, on m’appelle alors que j’étais de l’autre côté de la frontière, en Mauritanie pour acheter des marchandises. Mon interlocuteur me fait savoir que ma maison était remplie de policiers et que des membres de ma famille s’étaient fait menotter », reconstitue-t-il le jour de son arrestation à Rosso. C’est le début d’un calvaire qui va le mener de prison en prison. Transporté à Dakar, il est acheminé au commissariat du Port. Là, il affirme avoir été traité de « façon inhumaine ». « Je suis tombé malade après les enquêtes préliminaires et j’ai été transféré à l’hôpital Principal », se rappelle Latyr Niang.

…à l’enfer carcéral

Placé sous mandat de dépôt dans le cadre de l’affaire Imam Alioune Ndao, il fait connaissance de la maison d’arrêt de Rebeuss. « C’est l’enfer », résume-t-il. « J’étais admis à la chambre 10 (12 mX10 ou 6) où on était plus de 250 détenus. Il fallait vraiment être un dur pour s’en sortir. Il y avait une chaleur étouffante dans cette chambre et on a vécu cela pendant des mois. À la chambre 47 où j’ai été transféré, les conditions n’étaient pas meilleures. Ce n’est qu’à la chambre 7 où j’ai été rejoint par le groupe de l’Imam Ndao venu de Saint-Louis qu’on pouvait dormir dans un lit individuel. Cette parenthèse aux relents d’une oasis dans un désert sera vite oubliée par le passage au Cap Manuel.

Dans ce lieu de détention, les couleurs s’annoncent dès qu’on a franchi le portail. Là-bas, personne n’avait le droit de se plaindre de quoi que ce soit. Il fallait se soumettre au diktat de la directrice. Arrivés au Camp Pénal, on est mis dans des chambres exiguës. Imam Ndao a parlé d’une odeur nauséabonde qui partait du dehors pour envahir sa cellule, je peux le certifier pour avoir même moi et Ibrahima Mballo inhalé cette odeur depuis la nôtre. On entendait Imam cogner la porte de sa cellule pour protester. La chaleur, n’en parlons pas. Quand Mballo est parti, Sina (Sina Ould Sidy Ahmed, condamné à cinq ans pour ses liens avec les auteurs de l’attentat de Grand Bassam, en Côte d’Ivoire) est venu. Il a failli craquer », restitue Latyr Niang de ce qu’il retient de son séjour carcéral. Il n’oublie pas « le jour où les gardes pénitentiaires ont décidé de raser nos barbes ». « Je me suis opposé à cela et j’ai obtenu gain de cause », se réjouit l’ancien prisonnier.

L’aide d’Aboubacry Guèye

Du haut de ses 35 ans à l’époque, Latyr Niang s’est retrouvé sous les projecteurs de l’anti-terrorisme à cause des quelques semaines passées au Nigeria. Toutefois, force est de constater que sa rencontre avec un certain Ibrahima Diallo au Sénégal n’a pas facilité les choses pour cet homme qui se présente aujourd’hui comme un « innocent ». « Un an après mon retour au Sénégal, j’ai reçu un appel d’Aboubacry Guèye. Après les salamalecs, il s’excuse pour tous les désagréments de mon voyage. Je lui ai dit que je n’avais gardé aucune dent contre lui. En revanche, je n’ai pas hésité à reconnaître que ma situation financière s’était dégradée. Il promet de me soutenir. Quelque temps après, Ibrahima Diallo que je ne connaissais pas m’appelle au téléphone à son tour. Il a demandé à me rencontrer pour me remettre quelque chose de la part d’Aboubacry Guèye. Deux jours après, je me rends à Dakar où on devait se rencontrer dans un restaurant. Diallo passe un appel, quelques minutes après, une femme (la deuxième épouse de Matar Diokhané, ndlr) se pointe et lui remet de l’argent qu’il m’a donné ensuite. Il s’agissait de 11 billets de 500 euros », replonge-t-il dans les détails de ce rendez-vous.

Ibrahima Diallo alias Abou Omar à qui fait référence Latyr Niang a été lui-même appréhendé dans cette affaire et condamné à 15 ans de travaux forcés en même temps que le nommé Mohamed Ndiaye « Abou Youssouf ». Pour sa part, Matar Diokhané qui a intercédé en faveur de la « libération » du groupe de sénégalais qui voulait rentrer contre la volonté de Shekau, a pris 20 ans de travaux forcés.

L’accusation le voit comme le cerveau d’une tentative d’installation d’une base de l’État islamique dans le sud du Sénégal. Sa deuxième épouse, Coumba Niang, quant à elle, fait partie des 15 accusés contre lesquels la Chambre criminelle n’a pas prononcé de peine la journée du 19 juillet 2018. Elle était soupçonnée de garder les 42 000 euros et 6 millions de nairas que son époux avait reçus d’une part de Moustapha Diop, futur émir des djihadistes sénégalais à Syrte, en Libye et d’autre part de Shekau quand le groupe du Nigeria est autorisé à rentrer au Sénégal.

Une vie à reconstruire

C’est une partie de cet argent qui a conduit les enquêteurs sur la piste…Latyr Niang. Cependant, ce dernier croyait avoir le plus simplement du monde reçu une aide de son ami. « Quand j’ai reçu cet argent, je suis parti faire le change. Et je me rappelle avoir dépensé une partie dans la préparation de la rentrée des classes et une autre pour la fête de Tabaski. Le reste, je l’ai utilisé pour redémarrer mes activités dans l’agriculture », s’explique-t-il.

Deux ans après son élargissement de prison, Laty Niang, 42 ans, tente de redonner un sens à sa vie. « Je ne travaille plus. C’est mon frère qui m’a prêté de l’argent pour que j’achète des marchandises mais c’est très difficile. Au moment où je vous parle, un de mes enfants est malade et je n’ai même pas de quoi l’emmener à l’hôpital », se lamente l’ancien prisonnier. Il aura cependant appris une chose de ces épreuves qui se sont amoncelées : c’est qu’il ne faut faire confiance à personne. Quand il le dit, il ne veut pas faire allusion à son « défunt » ami Aboubacry Guèye qui lui a pourtant vendu le rêve d’un Eldorado européen qui s’est révélé un cauchemar ouest-africain. Même noyé dans des difficultés, Latyr Niang convoqué le 28 février prochain pour son procès en appel, tient à demeurer fidèle en amitié.

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