Il y a des rivalités qui défient le temps. Dans le milieu de la lutte, chaque génération de lutteurs vient avec ses «frères ennemis». Entre eux, se disputent les combats les plus explosifs. Balla Gaye 2 (Guédiawaye) et Modou Lô (Parcelles) continuent de vivre de telles chamailleries. La dernière fois, c’était suite à la victoire du fils de Double Less sur Gris Bordeaux (Fass-Ndakaru), le 7 août 2022. Sunu Lamb revient sur les soubresauts de ce vieil antagonisme entre les deux grandes stars des temps modernes.
C’est toujours l’inimitié. Un farouche conflit existe entre Modou Lô et Balla Gaye 2. Deux monstres physiques qui cristallisent toutes les passions autour d’eux. Ils ne ratent jamais l’occasion de se défier, de se toiser, de s’insulter (parfois) ou de se regarder en chiens de faïence.
Centre aéré de la BCEAO : les premières chamailleries
Modou Lô et Balla Gaye 2 sont-ils réellement de vrais ennemis ou s’agit-il juste d’un antagonisme purement sportif ? D’où est née leur rivalité ? Le pensionnaire de l’écurie Rock Énergie avait dit dans ces mêmes colonnes : «Dieu sait que je n’ai pas cette perception. Je ne crois pas que nous soyons des ennemis». Pourtant, le fils des Parcelles assainies était allé jusqu’à dire que dès qu’il voyait Balla Gaye 2 à la télévision, il l’éteignait. «C’était des comportements de jeunes. Nous avons grandi maintenant», avait-il tempéré, lors d’un entretien avec Sunu Lamb (le jeudi 8 mai 2014).
Plusieurs témoins affirment que la rivalité entre Balla Gaye 2 et Modou Lô est née lors d’un méga face-à-face organisé par le promoteur Gaston Mbengue, le 3 février 2009, au Centre aéré de la BCEAO (Dakar). Balla Gaye 2 et Eumeu Sène étaient présents à cet évènement. Les deux champions devaient disputer la tête d’affiche d’un grand gala de lutte avec frappe organisé le 8 février 2009, dans le cadre du Championnat de Lutte avec Frappe (CLAF) de Gaston Productions. En lever de rideau de ce sulfureux Balla Gaye 2 / Eumeu Sène, Modou Lô et Balla Diouf (Fass) s’affrontaient. Ayant le fils de Double Less dans le viseur, Modou Lô avait démarré les hostilités. «C’est lors de la signature de contrat, qui avait eu lieu au Centre aéré de la BCEAO, qu’il avait commencé à me provoquer. Il m’avait insulté», nous confiait l’héritier de Double Less. À l’époque, coordonnateur de Gaston Productions, Max Mbargane était témoin des faits. Il affirme : «les signatures traditionnelles de contrat des combats Balla Gaye 2 / Eumeu Sène et Modou Lô / Balla Diouf avaient été marquées par des échauffourées entre Modou Lô et Balla Gaye 2, alors qu’ils ne devaient même pas s’affronter. Des brouilles qui avaient mis fin à l’évènement en tant que tel et avaient aiguisé l’hostilité entre les deux champions».
Balla accusait Mod’Lô d’avoir provoqué sa chute face à Eumeu
Xaragne Lô (XLô) n’a pas limité sa provocation à l’évènement du Centre aéré de la BCEAO. Lors de l’affrontement entre Balla Gaye 2 et Eumeu Sène, l’actuel Roi des arènes avait réussi à terrasser son vis-à-vis, Balla Diouf. Après son succès, il avait publiquement défié le frère de Sa Thiès qui s’apprêtait à affronter Eumeu Sène en tête d’affiche. Voilà pourquoi l’enfant de Malifara avait soutenu que l’actuel Roi des arènes avait provoqué sa défaite, lors de son duel avec l’actuel Roi des arènes. Balla Gaye 2 n’était pas prêt à oublier cette regrettable scène. «Le jour de mon combat contre Eumeu Sène, c’est parce que Modou Lô m’avait insulté que j’avais été déstabilisé et finalement perdu le combat. Ce jour-là, j’étais même prêt à aller le retrouver sur place pour lui régler son compte», disait-il, dans Sunu Lamb N°1588 du samedi 30 avril 2011. Le natif de Guédiawayepleurait ce malheureux incident. «Un lutteur ne doit pas être incorrect, s’il veut arriver au sommet (sic). Puisqu’il m’avait cherché, il avait fini par me trouver», crachait-il,frôlant la crise nerveuse.
Khadim Gadiaga : «leur rivalité est bonne pour la lutte»
Balla Gaye 2 avait organisé un tournoi de lutte traditionnelle sans frappe, communément appelé mbapatt, une semaine après son combat remporté face à Saloum Saloum, le 10 juillet 2005. Ce jour-là, le frère de Sa Thiès n’avait pas combattu. «Je ne pouvais pas être organisateur et participer au mbapatt. Cela pourrait créer des incrédulités. C’est un tournoi qui avait été arbitré par feu Moussa Dioum, qui habitait les Parcelles assainies comme eux. Si j’ai bonne mémoire, tous les champions des Parcelles de l’époque avaient participé à ce tournoi. Je fais allusion à Dolf, Mitrailleuse, Super Diamono, Modou Lô, Talla Gaïndé, Khadim Gadiaga… Lors de ce tournoi, Elton avait terrassé Modou Lô. Moussa Dioum, qui était arbitre, avait refusé de lui accorder la victoire. Ils avaient fini par reprendre leur affrontement. Modou Lô avait été terrassé par Less 2. Il y a eu des contestations lors de la finale entre Modou Lô et Less 2. Elle n’était pas allée à son terme. Certains de mes poulains étaient capables de terrasser Modou Lô. Donc, je ne pouvais pas me mettre en nguimb pour en découdre avec lui».
La controverse : qui avait remporté le duel entre Less 2 et Modou Lô ? Du côté des Parcelles assainies, on estimait que c’est bien Modou Lô qui avait plombé les ailes de Less 2. «C’est bien Modou Lô qui avait battu Less 2», déclarait de son vivant Moussa Dioum, arbitre du tournoi. Un argument que Guédiawaye réfute (toujours) avec véhémence. Mais, cette polémique avait soulevé un gros problème. Car Modou Lô et sa bande avaient été chassés par Balla Gaye 2 et sa cohorte jusque chez eux. «Les deux fois que Modou Lô avait défié publiquement Balla Gaye 2, c’est moi qui lui avais demandé de le faire. La première fois, c’était lors du mbapatt à Guédiawaye. Ce jour-là, on nous avait même chassés par des jets de pierres. La deuxième, c’était lors du combat Balla Gaye 2 / Eumeu Sène, alors que mon poulain avait pris le dessus sur Balla Diouf», avouait Khadim Gadiaga, ancien chef de file et actuel président de l’écurie Rock Énergie. Selon lui, «leur rivalité est bonne pour la lutte. Mais on doit la vivre de manière saine. Il faut deux athlètes qui vont vivre une rivalité sportive pour que la lutte cristallise plus d’attention».
Lors du combat Zarco (Grand-Yoff Mbollo) / Sa Thiès (Double Less), le lundi 25 avril 2011 au stade Demba Diop, Modou Lô et Balla Gaye 2 étaient présents pour soutenir leurs poulains. Lors de cette confrontation, le Lion de Guédiawaye et le Roc des Parcelles assainies n’avaient pas manqué de se lancer des piques dans l’enceinte. Ils s’y étaient donnés en spectacle en s’insultant. Très en colère contre son ennemi juré, le premier tombeur de Yékini claquait : «mon petit frère Sa Thiès peut le terrasser. C’est lui son alter ego. S’il veut, il n’a qu’à signer un combat avec mon jeune frère. Celui-ci va le battre à plate couture». Modou Lô n’avait pas trouvé mieux à dire à son rival que de faire en sorte «de pouvoir bénéficier des prières de ses parents». Des mots durs et provocateurs qui avaient sorti le Lion de Guédiawaye de ses gongs.
Leurs supporters se déchirent sans pitié
«À l’époque, le Roc des Parcelles assainies aurait pu affronter Balla Gaye 2, mais ils s’étaient évités. Puis, lors des mbapatt de Birahim Ndiaye (NDLR : ancien lutteur de Fass), quand Balla Gaye 2 s’engageait, Modou Lô ne venait pas et vice versa. Le hasard avait fait qu’ils étaient entrés dans l’arène quasiment à la même période (2005-2006)», témoigne Serigne Mour Diop, ancien journaliste du quotidien national Le Soleil. C’est ce bruit des mbapatt qui les avait suivis dans l’arène. Le chef de file de Rock Énergie et celui de l’école éponyme avaient exacerbé cette hostilité. Le journaliste sportif Serigne Mour Diop poursuit : «Leur rivalité, c’est d’abord dans les mbapatt. Il y avait un tournoi de Guédiawaye où Modou Lô disputait la finale contre Oumar Fall Moumeu (un lutteur sourd-muet), ami de Balla Gaye 2. Après deux confrontations, il n’y avait pas eu de vainqueur et on avait décidé de leur partager la mise».
Autre constat : les supporters des deux frères-ennemis n’étaient pas en reste. Dans chaque maison, on trouve un fan de Modou Lô et un autre de Balla Gaye 2, estiment tous ceux que l’on interroge à ce sujet. Du coup, même dans les maisons, leurs ultras engageaient des débats sans fin. Guédiawaye et Parcelles assainies, fiefs respectifs des deux mastodontes, étaient quasiment devenus effervescents. À leur tour, leurs supporters jetaient de l’huile sur le feu. Leurs discussions étaient teintées de polémiques. Ainsi sur les réseaux sociaux, les adeptes des deux gladiateurs se déchiraient sans pitié. En effet, au lendemain de leur premier face-à-face du 5 août 2018, à la Place du Souvenir de Dakar, leurs fans avaient fait des photomontages allant même jusqu’à les caricaturer. Les deux athlètes étaient pourtant bien sapés ce jour-là. Mais dès le lendemain du Ndajé, leurs fans avaient investi les réseaux sociaux pour s’adonner à des sabotages vestimentaires.
«Cette rivalité est moins vive que celle entre Mbaye Guèye et Robert»
Cette hostilité est-elle bonne pour la lutte ? De l’avis du journaliste Serigne Mour Diop, «cette rivalité fait le charme de la lutte, même si il ne faut pas l’exagérer» car «on a vu à l’époque des rivalités insolentes avec Mbaye Guèye et Robert Diouf». La maison du journaliste Ablaye Nar Samb avait été brûlée en raison de cette hostilité. La raison ? Il se disait que cet ancien reporter de la RTS1 avait un petit penchant pour Robert Diouf. «Donc, ce n’est pas la première fois que cela arrive dans le milieu de la lutte», fait savoir ce spécialiste de la lutte, qui a en bandoulière une riche expérience.
Ces deux monuments de l’arène animent leur antagonisme mais sans dégâts énormes. Ils font les choses avec civilité, fair-play et discipline. Il arrive cependant que l’on note de petits débordements. Mais Balla Gaye 2 et Modou Lô ne dépassaient jamais le cadre sportif. Mieux, affirmait Balla Gaye 2, «c’est à l’instar de la rivalité qui existait entre Messi et Ronaldo». Toutefois, si les deux footballeurs légendaires se disputaient les Ballons d’Or, le Lion et le Roc se battaient pour décrocher le titre prestigieux de Roi des arènes.
Me Abdoulaye Wade : «la lutte est notre sport national, un sport noble qui doit unir»
La rivalité entre les deux champions avait atteint un point de non-retour. Un climat délétère qui avait atterri à la présidence de la République. Ils avaient été reçus, le 9 mai 2011, par l’ancien Premier ministre sous l’ère Wade, Souleymane Ndéné Ndiaye. C’est après que le Président Wade les avait reçus pour les réconcilier. Malgré une atmosphère gênante et très embarrassante, l’image de la réconciliation était pleine de symboles et d’enseignements. Balla Gaye 2 et Modou Lô avaient adopté un nouvel état d’esprit. Ils avaient remercié le Premier ministre d’alors, Souleymane Ndéné Ndiaye, et toutes les bonnes volontés qui avaient œuvré pour apaiser leurs relations. «La lutte est notre sport national, un sport noble qui doit être facteur d’unité et de raffermissement des relations. Donc, il n’y a pas de place pour la haine, la violence et la passion démesurée qui seraient de nature à ternir l’image de notre pays», avait martelé Me Abdoulaye Wade, convaincu que les acteurs de la lutte devaient être des symboles et des modèles.
Cette haine va-t-elle prendre fin un jour ?
Cette haine a-t-elle pris fin ? En réalité, elle ne peut prendre fin que si peut-être Modou Lô prend sa revanche. «J’ai horreur de la défaite, surtout au Sénégal. Si tu tombes, tu seras la risée de tout le monde. Mais ce n’est que du sport et il faut le prendre comme tel», avouait l’actuel Roi des arènes, qui a courbé l’échine deux fois devant Balla Gaye 2, qui demeure sa bête noire. Donc, pas besoin de dire que le natif des Parcelles assainies a toujours une folle envie de se venger.
Il existe effectivement une féroce rivalité entre Balla Gaye 2 et Modou Lô. Mais elle n’est pas si méchante que ça. En réalité, chacun voue intérieurement un grand respect à son rival. Aussi, chacun est conscient du potentiel de l’autre. Mieux, les deux «frères ennemis» animent l’arène par leur courage, leur talent, leur chorégraphie, leur renommée, leurs prouesses techniques… Fort de ce constat, le journaliste sportif Serigne Mour Diopconclutque «ce n’est pas une animosité, mais une rivalité intensifiée et accrue par leurs entourages».
On est peut-être loin de la paix des braves entre Balla Gaye 2 et Modou Lô. Mais comme le dit l’adage, «c’est à partir des grandes batailles que naissent des amitiés». Donc, ces deux grandes stars de la lutte sénégalaise deviendront des frères amis et leur antagonisme serait forcément un cas d’école.
Par Abdoulaye DEMBÉLÉ (Sunu Lamb)